La traîtresse (Taxeddaɛt)
Amachahou rebbi ats iselhou ats ighzif amechth ou sarou.
(Que je vous conte une histoire, Dieu fasse qu’elle soit belle, longue et se déroule comme un long fil.)
L’amour rend aveugle et c’est vrai, si l’on prend comme référence ce conte du terroir édifiant à plus d’un titre. Jadis, vivait dans une contrée montagneuse un couple de paysans. Cela faisait des années qu’ils s’étaient unis, mais aucun enfant n’était venu égayer leur foyer. Au fur et à mesure qu’ils avançaient en âge, ils redoutaient de mourir sans laisser de progéniture. “Gad’en ad’ emthen d’imeng’ ou ren”.
Mourir sans enfant pour un paysan ou pour tout être humain, c’est la pire des punitions (punition divine s’entend !). Le couple était désespéré. Leurs lopins de terre, leur demeure et tout ce qu’ils possédaient changeraient de mains. Ils iraient aux cousins. Cette perspective ne les enchantait guère, ils vivaient un enfer sur terre. En proie au désespoir, ils se repliaient sur eux-mêmes en attendant la mort.
Mais comme tout vient à point à qui sait attendre, un jour, la femme sentit la vie tressaillir dans ses entrailles. Elle sauta de joie et informa aussitôt son mari. Depuis ce jour, l’épouse était invitée à se préserver jusqu’à la naissance du nouveau-né. Au bout de neuf mois, un joli poupon vit le jour. Le garçon tant attendu était choyé, couvé et alimenté avec des mets raffinés. Protégés par ses parents, il grandit à l’abri de tout danger. Rebbi d’eg g’ennni Netsa d’ilqaâ ig dhlev ad illi Ses pouvoirs sur ses parents étaient illimités, il leur demandait ce qu’il voulait et il était servi. En croyant bien faire, en se montrant débonnaires à l’excès, ils avaient contribué à faire de leur enfant un être capricieux, arrogant et intransigeant.
À l’âge de seize ans, muni de son arc et de ses flèches, il partit à la chasse dans les champs. Sur son chemin, il trouva errant une fille d’une très grande beauté, aux cheveux noir de jais. Il était ébloui par tant de grâce et de splendeur. Dès qu’il lui adressa la parole, il fut subjugué. Il en tomba amoureux. Il lui demanda de l’accompagner chez lui. Présentée à ses parents, il désirait se marier avec elle sur le champ. Son père refusa une telle union. Il lui dit : “zouadj g-ibbas, ilaq as akhemem ousougas” Le mariage est une chose très sérieuse qu’on ne doit jamais prendre à la légère. Il faut beaucoup réfléchir.
L’adolescent gâté à outrance était mécontent du refus de ses parents. Ils s’opposaient à ce que leur unique garçon se lie à une inconnue, dont on ne connaissait rien. La beauté n’était pas le seul critère à rechercher chez une fiancée. Il y avait tellement de filles dans la famille et chez des amis, qui pouvaient faire de bonnes fiancées. L’adolescent refusait toutes les propositions. Il ne voulait faire que ce qu’il désirait. Il tomba en désaccord avec ses parents et les quitta, malgré leurs lamentations et leur gros chagrin. Il voulait s’unir à la fille errante, contre vents et marées, il fit selon sa volonté. Il partit avec la jeune fille par monts et par vaux.
Un jour, il arriva avec elle, près de la demeure de “Amghar Azemni” (le vieux sage) qu’il connaissait pour être venu le voir avec son père à plusieurs reprises. Il lui présenta son épouse. Amghar Azemni la toisa du regard, il tressaillit. La jeune femme lui donna un malaise et un haut-le-corps. Il détourna ses yeux, prit le jeune homme en aparté et lui dit :
Thamettouth agi thechvah soufella mayla ar d’khel Therka ! Cette femme est belle en apparence, mais perfide en dedans !
- Sépare-toi d’elle, avant qu’il ne soit trop tard.
- Je ne peux le faire grand-père ! Je veux faire d’elle la mère de mes enfants, aucun conseil ne pourra me détourner de cette femme, qui a accaparé mon cœur et mon esprit.
- Tu es obnubilé, tu ne sais pas ce que tu fais, mais n’oublie pas ceci : Endama Eth Garid Our-d Zougar Ara. (On ne regrette qu’après ce que l’on a fait, malgré les conseils donnés !)
Le couple prit congé de “l’amghar azemni” et continua son chemin. Vers la tombée de la nuit, ils arrivèrent dans une clairière et découvrirent une grande demeure où vivaient sept hommes. Ils demandèrent l’hospitalité, elle leur fut accordée.
La jeune femme fut séparée de son mari, contre son gré. Les sept hommes lorgnaient vers la femme, le jeune homme n’était pas dupe. Il comprit vite où ils voulaient en venir. Il se battit contre les sept hommes qu’il terrassa tour à tour. Pour les neutraliser, il les entassa dans le sous-sol de la demeure. Là, une surprise de taille l’attendait. Des squelettes d’hommes jonchaient le sol, ce sont des ogres (iouaghznioun).
Il prit peur et se dit : “Ats etsrou yemmath sen our thetsrou yemma !” (Il faut que j’en finisse avec eux, avant qu’ils n’en finissent avec moi.) Dégainant son épée, il les transperça un par un avant qu’ils ne se réveillent. S’étant débarrassé des ogres, il prit possession de leur demeure et de leurs richesses.
Devenu le propriétaire des lieux, tous les matins, il s’en allait à la chasse et laissait sa femme seule à la maison. Un jour, sa femme entendit des gémissements provenant du sous-sol, elle souleva le couvercle qui recouvrait la trappe pour voir de quoi il s’agissait. Elle aperçut le plus jeune des ogres, qui avait échappé à la mort. Le coup qu’il avait reçu n’avait pas touché un organe vital, il n’était que blessé.
La beauté du jeune ogre lui donna des idées. Elle le soigna et lui donna à manger. Dès qu’il se rétablit, elle discuta avec lui durant des heures. Elle passait ses journées avec lui au sous-sol, ne remontant que le soir, quand elle entendait hennir le cheval de son mari. Elle se précipitait dans sa couche, s’ébouriffait les cheveux, se ceignait le front d’un foulard et se recouvrait d’une épaisse couverture. Son mari qui s’attendait à la trouver alerte et prompte à préparer le gibier qu’il avait tué, était étonné de la trouver dans cet état.
- “Mais qu’as-tu ma chérie, on dirait que ça ne va pas.
- Je suis malade mon ami.
- Si tu as besoin d’un remède, je suis là.
- Pour venir à bout de ma maladie, il me faut manger des pommes enchantées.
- Où puis-je trouver ces fruits ?
- Je ne sais pas où elles se trouvent, mais je sais que ce sont les seules qui pourront me guérir.”
Cette nuit-là, le mari passa une nuit blanche. Le lendemain matin de bonne heure, il se rendit chez “Amghar Azemni”, le seul homme capable de lui indiquer l’endroit où il pourrait trouver les pommes enchantées. Le vieux sage, après avoir essayé de le raisonner encore une fois à propos du phénomène de rejet que lui inspirait son épouse, dut déchanter, quand le jeune homme, pour toute réponse, lui dit : “-Je veux la guérir et non me séparer d’elle”.
Devant son obstination, il lui dit : “Puisque c’est ainsi, la seule manière de te procurer les pommes enchantées qui appartiennent à l’ogresse de cette contrée, c’est d’essayer de la surprendre, au moment où elle moud du blé. A ce moment, afin que ses seins ne la gênent pas, elle les rejette en arrière, tu profiteras pour téter un de ses seins. Quand tu auras bu son lait, elle ne pourra rien contre toi.”
Il suivit à la lettre les recommandations de l’Amghar Azemni (vieux sage). Après avoir bu le lait de l’ogresse, elle lui dit : Loukan our thesouidh ara akfay inou aktchagh ou ad’tchagh thamourth fou ghef eth tsedoudh. (Si tu n’avais pas bu mon lait, je t’aurais avalé, comme j’aurais avalé la terre sur laquelle tu as marché !) Mais puisque c’est trop tard, dis-moi, ce que tu veux.
- Je ne veux que les pommes enchantées qui poussent dans ton verger. C’est le remède qu’il faut à ma femme tombée en léthargie. Ad’illi rebbi idek, ammis-medden k’etch ig tsammen issi-s medden. (Que Dieu te vienne en aide, toi qui crois les femmes.) Pauvre de toi qui commence à perdre la raison. Tu n’en as pas fini crois-moi ! Ce n’est que le commencement !”
Muni des pommes enchantées, le mari retourna chez lui, à bride abattue. Il arriva dans la soirée. Sa femme qui avait passé toute la journée en compagnie de l’ogre n’avait pas vu passer le temps. Dès qu’elle entendit le hennissement du cheval de son mari, elle quitta le sous-sol à regret. Elle se jeta sur sa couche et se mit à gémir. Son mari lui remit aussitôt les pommes enchantées qu’elle croqua à belles dents. Elle se leva comme par enchantement. Il était heureux de la voir de nouveau sur pieds.
Le lendemain, il resta à la maison, ce qui ne plut guère à madame, elle ne pouvait descendre voir l’ogre sans se trahir. Elle rongea son frein. Les jours suivants, elle incita son mari à reprendre ses habitudes de chasse. C’est avec soulagement qu’elle le vit partir tous les matins, en espérant qu’une bête féroce le dévore ou qu’un autre chasseur le tue, en lui décochant une flèche en plein cœur. Restée seule, elle faisait monter le jeune ogre et folâtrait avec lui. Il ne retournait au sous-sol qu’au retour du mari.
Mais cette vie ne plaisait pas au jeune ogre, il voulait la femme sans l’homme. Ainsi, un jour il lui dit : “Je ne veux plus vivre en cachette, il est temps pour nous deux de vivre pleinement notre amour, mais nous ne pouvons réaliser nos vœux qu’en éliminant ton mari.”
- “Je suis d’accord avec toi, mais comment faire ?”
- Nous ne le tuerons pas ici, tu vas lui demander de te ramener l’eau pour laquelle se battent les montagnes. “Aman foughef tsnaghen id’ourar”. Cette mission lui sera fatale car tous ceux qui ont essayé ont perdu la vie.”
Dès que son mari rentra, elle se mit dans sa couche et lui demanda l’eau, qui viendrait au bout de sa “maladie”. Le mari ne savait pas où trouver cette eau, mais “amghar azemni”, lui, le savait. Il alla le voir et lui dit : “Ma femme me demande, pour guérir, de lui ramener l’eau pour laquelle se battent les montagnes.
- Demain, elle te demandera de lui ramener la lune ! Ressaisis-toi, jeune homme, ne vois-tu pas que cette femme veut ta perte ? Elle a quelque chose derrière la tête !
- Je ne suis pas venu pour être blâmé, je ne suis venu que pour te solliciter de me dire où se trouve cette eau et surtout comment faire pour l’obtenir.
- Tu es aveugle, mais puisque tu ne veux pas m’écouter, il faut procéder ainsi. Tu vas égorger une vachette que tu offriras aux aigles de la montagne. Une fois qu’ils seront repus, le père va remercier celui qui leur a donné pareil festin. Tu profiteras de cet instant pour lui dire que c’est toi !
Et il en fut ainsi. Le père des aigles le saisit dans ses serres, l’amena à l’endroit précis, en passant par les airs, car le passage sur terre était trop dangereux. Il fallait être rapide comme l’éclair pour pouvoir y passer. L’obstacle franchi, le mari ramena à sa femme l’eau dans une outre prise à cet effet. Il enfourcha son fidèle coursier et arriva chez lui à la nuit tombée. En entendant le cheval hennir, la femme et l’ogre qui pensaient s’être débarrassés à jamais de l’homme étaient déçus. Ils s’attendaient à passer la nuit ensemble, mais leur projet tomba à l’eau.
Le mari rentra en hâte il la trouva en train de gémir, il lui offrit l’eau à boire. Comme par enchantement, elle se leva de sa couche et feignit de remercier son mari, mais au fond d’elle-même, elle aurait aimé ne plus le revoir. Le jeune ogre avait pris sa place dans son cœur et elle n’avait que faire de lui.
Le mari qui était très loin de soupçonner sa femme de mauvaises intentions, se croyait tiré d’affaire. Elle allait guérir et vivre avec lui de longues années et lui donner beaucoup d’enfants. Mais le pauvre se trompait lourdement. Voulant tuer son mari, sans se salir les mains ni celles de l’ogre, sur les conseils de ce dernier, elle lui demanda, cette fois, de lui ramener : Ak’fay n-etseddad’eg choulit’ memmi-stchid s-chlaghem b-ayrad’. (Le lait de lionne dans une outre faite avec la peau de son petit, nouée avec des poils de lion arraché de sa moustache).
Le mari qui croyait que sa femme était définitivement guérie était déçu, mais puisqu’elle ne s’était pas remise complètement, il allait lui ramener ce lait quitte à y laisser la vie. Et pour la troisième fois, le mari se rendit auprès de l’amghar azemni (le vieux sage), et lui parla du lait de la lionne, dans une outre faite de la peau de son petit, nouée avec des poils de la moustache arrachés du museau d’un lion.
“L’amghar azemni sourit et dit au mari aveuglé par l’amour qu’il éprouvait pour une femme qui n’avait pas l’air de l’aimer : Ay argaz ay amaghvoun Ik’essen d’i lekhla am sardoun. (Pauvre de toi, qui ne vois pas ce qui se passe dans ton dos ! Cette femme que tu chéris tant, va causer ta perte dans peu de temps).
Ressaisis-toi, avant qu’il ne soit trop tard !
- Ce n’est pas des conseils que je veux, mais le lait de la lionne à même de guérir ma femme !
- Puisque tu es aveuglé et têtu comme une mule, voici comment devras-tu prendre pour te procurer le lait. Tu devras prendre avec toi une chèvre que tu attacheras à proximité de la tanière des lions. Dès qu’ils entendront les bêlements, ils se précipiteront pour la dévorer. Tu profiteras de cet instant pour entrer rapidement dans leur gîte tu prendras uniquement deux lionceaux. Le plus frêle, tu l’égorgeras et l’écorcheras. Le second, tu le mettras dans la capuche de ton burnous, il te servira de monnaie d’échange”. Une fois repue, la lionne s’allongea à même le sol, et offrit généreusement ses mamelles à ses petits, mais il n’y avait que deux qui se présentaient, les deux autres étaient absents. La lionne rugit pour les appeler mais en guise des petits, c’est le mari mené par le bout du nez qui se montre à la lionne et dans la capuche de son burnous, son petit. “-Rends-le moi !
- D’accord, mais à la condition que tu me donnes un peu de ton lait, avec deux longs poils arrachés de la moustache du lion, ton compagnon !
- D’accord, mais fais-vite !”
L’homme relâcha le lionceau et se mit à la traire en cachant de son burnous l’outre faite avec la peau du petit. Car, si elle savait qu’il avait tué son petit, elle ne l’aurait jamais laissé, au contraire elle l’aurait dévoré. En possession du précieux lait, l’homme quitta le lieu à la vitesse de l’éclair. Il avait pris soin d’enterrer le corps du lionceau, mais on ne sait jamais.
Ce n’est qu’après s’être très éloigné qu’il se sentit en sécurité. La mission accomplie, comme il devait retourner chez lui en passant à côté de la demeure de “l’amghar azemni”, il décida de le voir, et même de lui demander de l’accompagner dans le cas où il ne verrait pas d’inconvénients. “Amghar azemni”, (le vieux sage), accepta l’invitation. C’est ainsi que les deux hommes prirent la route en direction de la demeure où les attendait la femme “malade”. En arrivant près de l’habitation, le mari était étonné de voir plusieurs lampes à l’huile allumées.
C’était jour de fête chez lui, et il ne savait pas pourquoi. Prudemment, ils descendirent de son cheval et avancèrent à pied. Ils étaient surpris de voir à travers les interstices de la porte, que la femme était parée comme pour une noce, mais qui était le mari ? Ils ne tardèrent pas à le savoir. A un certain moment, le jeune ogre monta du sous-sol paré comme “isli” (fiancé). Aucun doute n’était permis. Ils tendirent l’oreille et entendirent : Thikelt agi d’ayen Argaz itchath ouayrad’ Thikelt agi ourd itsoughal (Cette fois-ci, c’est fini, le lion l’a dévoré, il ne reviendra plus, à nous la belle vie !).
Ces paroles prononcées et répétées par le couple, firent sur le mari bafoué, l’effet d’un couperet. “Amghar azemni” regarda le mari sans rien dire. Il hocha la tête, il avait tout compris, mais c’était trop tard, le mal était fait ! Il ne lui restait qu’une seule chose : se venger ! Il ouvrit la porte brusquement et d’un coup d’épée, bien ajusté, il trancha le cou de l’ogre avant qu’il ne puisse se rendre compte de ce qui lui arrivait. La femme infidèle se réfugia dans un réduit pour échapper à l’épée, mais, méprisant son mari lui dit :
Feldjalt im djigh vav d’yemma Feldjalt im l’mouts our tsegadagh ara Thekhd’aâdh iyi a lalla Thektharedh ouaghgzen Louah’ch Lekhla. (A cause de toi, j’ai abandonné mon père et ma mère. A cause de toi, j’ai bravé tous le dangers, toi misérable, tu m’as trahi avec un ogre de la forêt. J’ai bien envie de te tuer, mais ma vengeance ne sera pas assouvie, aussi, je te laisse en vie, afin que les remords te rongent jusqu’à la fin de ta vie ! Vas et que je ne te revoies plus !).
Le mari trahi prit possession de toutes les richesses des ogres et rentra chez lui accompagné par amghar azemni qu’il ramena dans son lieu de retraite. Il demanda pardon à ses parents, les fit profiter des richesses ramenées, puis se remaria avec une fille de la famille. Il vécut heureux avec ses parents et sa nouvelle femme qui lui donna beaucoup d’enfants.
Our kefount ethhoudjay inou Our kefoun irden tsemzine. As n-elaïd anetch aksoum tsh’emzine ama ng’a thiouanzizine (Mes contes ne se terminent comme ne se terminent le blé et le l’orge. Le jour de l’aïd, nous mangerons de la viande et des pâtes, jusqu’à avoir des pommettes rouges et saillantes).